La Fausse liste des sectes



Liste des sectes le grand mensonge



La liste des sectes un rapport sous influence -  La liste  des sectes  le grand mensonge


Un mensonge a le temps de parcourir la moitié du monde avant que la vérité n’ait eu le temps d’enfiler ses bottes” déclara Winston Churchill. La commission d’enquête parlementaire sur les “sectes” en est la parfaite illustration. Créée en 1995, elle dressa une liste de 172 mouvements philosophiques, spirituels et religieux qu’elle catalogua comme “sectes”, en donnant un sens péjoratif à ce terme. Nombreux sont ceux qui pensent que cette commission est née à la suite des tragédies du Temple Solaire du 4 octobre 1994 et du 20 décembre 1995. Ils croient également que, du fait qu’il soit signé de l’Assemblée nationale, son rapport est le résultat d’un travail minutieux et qu’il a mobilisé un grand nombre d’experts pour examiner attentivement tous les faits concernés. La vérité est tout autre. En effet, la commission qui a rédigé ce rapport de manière superficielle s’est inspirée en grande partie de documents rassemblés à la hâte, notamment par les Renseignements généraux (RG). L’autre source sur laquelle s’est appuyée la commission pour étayer ses arguments est une précédente étude datant de 1993, réalisée par un service peu connu, l’IHESI (Institut des hautes études de la sécurité intérieure). L’IHESI est une cellule de réflexion créée en 1989 et rattachée au ministère de l’Intérieur. Depuis sa publication en Janvier 1996, le contenu du rapport de la commission d’enquête n’a cessé d’influencer les réflexions et les décisions des autorités politiques et administratives. Malheureusement, ce fut au détriment de la liberté de conscience, de religion et des droits des 172 minorités citées dans le rapport. Dans bien des cas, il suffit de faire remarquer qu’une association spirituelle figure sur la “liste noire” parlementaire pour que ses membres subissent un traitement discriminatoire. Les témoignages sont chaque jour plus nombreux : des membres de ces groupes sont évincés d’un emploi public ou privé, se voient refuser le droit de passer un contrat avec l’administration, d’exercer leur art, d’utiliserdes équipements municipaux ou des salles de concert. Ils  peuvent être victimes de boycotts économiques et il leur arrive d’être dénoncé en public. Ces agissements sont tolérés si ce n’est suscités par des fonctionnaires de l’Etat ou des élus.



La Mission interministérielle de lutte contre les sectes


Le rapport parlementaire a en outre donné naissance à la “Mission interministérielle de lutte contre les sectes”, plus connue sous le sigle de MILS. Rattachée au cabinet du Premier Ministre, la MILS a

contribué à ternir la réputation internationale de la France en matière de droits de l’homme, par ses rapports approximatifs et tendancieux. Leur contenu a abusivement mis en cause de nombreux mouvements spirituels ou religieux par des accusations fondées bien souvent sur de simples rumeurs et une politique volontairement oppressive. Le traitement réservé en France aux nouveaux mouvements religieux a malheureusement servi de justification à plusieurs gouvernements étrangers extrêmement répressifs. La présence officielle d’Alain Vivien, président de la MILS, lors d’un symposium organisé par les autorités chinoises en novembre 2000 sur le thème des “sectes” a ainsi

 soulevé une vive controverse. Selon la lettre d’information du CCMM (Centre contre les manipulations mentales), une association soutenue par la MILS qui a elle aussi fait le voyage à Pékin : “[en Chine], la France est souvent citée en exemple en raison de ses actions larges et cohérentes contre le danger des sectes”. Le symposium a malheureusement coïncidé avec une nouvelle vague

 de répression religieuse. A la fin de l’année 2000, le gouvernement chinois lançait une campagne de répression inédite contre des églises chrétiennes “non autorisées”, détruisant environ 1500 lieux de culte. En juillet 2002, trois prêtres catholiques ont été condamnés à trois ans de travaux forcés. Leur crime était d’avoir pratiqué une religion jugée responsable, selon les autorités chinoises, de “troubler la paix sociale”. Nous sommes aujourd’hui en droit de demander sur quoi reposaient les conclusions de la commission d’enquête parlementaire, reprises dans un rapport aux conséquences désastreuses. Comment la liste des “sectes” fut-elle réellement compilée ? Qui en fixa les critères, et à partir de quels faits ? Car ce rapport n’est pas seulement une étude bâclée : il a été vivement critiqué par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et de nombreux universitaires spécialistes du domaine religieux qui ont étudié les méthodes de travail, les conclusions et les recommandations de la commission. De plus, par quatre fois au moins, des tribunaux français ont réfuté toute valeur juridique au rapport parlementaire.



Battons en brèche quelques idées reçues :


• La commission d’enquête parlementaire sur les prétendues “sectes” est loin de refléter le point de vue du Parlement. Elle n’a reçu qu’un soutien limité. Elle est née d’une très faible minorité puisque seuls dix députés sur les 577 que comptait l’Assemblée nationale étaient présents au vote, sans débat, autorisant sa création. Malgré la présence de trois ministres, une vingtaine de députés seulement

 assistèrent à la présentation officielle du rapport de la commission d’enquête.



• Sans l’influence déterminante d’un lobby très actif, la commission d’enquête n’aurait jamais vu le jour. Ses recommandations les plus virulentes s’inspirèrent d’une stratégie quasi militaire contre les

minorités religieuses et spirituelles conçue par un colonel de gendarmerie, Jean-Pierre Morin, spécialisé, selon ses dires, en psychologie de guerre. Il fut consulté pour le rapport de l’Institut des

 Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure qui inspira plus tard les travaux de la commission d’enquête parlementaire.



• Ce n’est pas la commission d’enquête qui a rédigé la fameuse “liste noire” des 172 groupes mis à l’index. Elle n’a fait qu’adopter une liste fournie par les RG (Renseignement Généraux). Cette liste n’a été soumise à aucune vérification indépendante.



• Les rapports des RG contenant des notes anonymes, les fameux “blancs”, et la commission d’enquête n’ayant pas jugé utile de convoquer tous les responsables des groupes mis en cause, ces


groupes n’ont pu bénéficier d’une confrontation équitable. Personne n’a eu la possibilité de connaître ses accusateurs et de se défendre.


• Les sources de la commission d’enquête n’étaient pas neutres. La commission s’est largement inspirée des informations fournies par une association militante, étonnamment baptisée Association pour la Défense des Familles et de l’Individu (ADFI). L’image rassurante d’un groupe privé défendant les citoyens que l’ADFI veut bien se donner est trompeuse. Cette association ne jouit


d’aucun soutien populaire réel et ne survit que grâce aux subventions publiques, tout en travaillant en étroite collaboration avec les RG, collaboration qu’elle juge essentielle à son fonctionnement.



• La méthode suivie par la commission d’enquête manquait de rigueur. Elle a pratiqué de grossiers amalgames. En outre, seulement une vingtaine d’heures ont été consacrées à l’audition de témoins


pour aboutir à une condamnation globale, publique et sans appel de 172 mouvements !



• La commission d’enquête n’a pas jugé utile de consulter les universitaires spécialisés dans l’histoire ou la sociologie des religions. En conséquence, comme l’ont noté ces experts, ses conclusions et


recommandations traduisent une ignorance fondamentale de ce domaine.



• Son rapport s’est par exemple étendu longuement sur des groupes bouddhistes, hindouistes ou chrétiens mais n’a consacré que six lignes aux organisations sataniques et n’a mentionné aucun groupe islamiste radical (voir planche 1, page 6 ).



• Les recommandations de la commission d’enquête violent le principe de séparation des Eglises et de l’Etat en appelant à une campagne officielle contre des organisations religieuses désignées


sous le terme péjoratif de “sectes”. Sans l’avouer, cette discrimination vise à rétablir le régime des cultes reconnus. Le dessein caché étant de refuser toute existence légale aux cultes non reconnus, c’est-à-dire à ceux qui figurent sur la liste parlementaire .


Un rapport sans valeur juridique


Bien qu’il soit issu d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale, le rapport ne peut être légitimement utilisé pour dire la loi. En effet, les dispositions de l’Assemblée nationale stipulent

 que : “à la différence des commissions permanentes, les commissions d’enquêtes n’interviennent pas directement dans le processus  d’élaboration de la loi, mais ont un rôle d’information, de contrôle, qui

 les conduit en pratique à conclure par des suggestions.” Le rapport de la commission d’enquête a servi de référence à des responsables politiques et à divers services administratifs pour fonder leurs décisions vis-à-vis des activités de certaines associations. Cependant, la justice a dénié au texte parlementaire toute valeur juridique ou normative. Le 21 février 2002, le tribunal administratif de Rennes a contraint la ville de Lorient à louer une salle municipale aux Témoins de Jéhovah de cette ville. La municipalité avait justifié son refus en s’appuyant sur le rapport parlementaire qui avait qualifié de “secte” le mouvement des Témoins de Jéhovah. “La décision prise par le maire de Lorient, qui ne saurait trouver un fondement dans un rapport parlementaire dépourvu de valeur normative, est manifestement illégale”, a conclu le tribunal. Trois mois plus tard, le 30 mai, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision prise le 18 octobre 2001 par la ville de La Rochelle de refuser la location d’une salle communale à l’association locale de la même confession religieuse. La municipalité s’était fondée elle aussi sur le même texte. “Ce rapport, dénué de valeur juridique, ne pouvait servir de fondement légal à la décision attaquée”, a déclaré le tribunal. Etant donné que le rapport sur les prétendues “sectes” porte le sceau du Parlement, les fonctionnaires, les élus, les journalistes et le public en général sont fondés à croire qu’il repose sur des faits indubitables et qu’il est digne de foi. Cette mystification a été soigneusement entretenue. Comment en est-on arrivé là


 Les véritables origines de la commission d’enquête parlementaire sur les “sectes”


Il faut remonter à 1992, pour découvrir les origines de la commission d’enquête parlementaire. Cette année-là, un avocat fut surpris de recevoir un courrier de l’ADFI l’invitant à participer à une conférence à caractère juridique. Un ami de l’avocat, étudiant en droit, décida d’y assister et se rendit dans les locaux de l’ADFI. Il ne s’agissait pas d’une simple conférence ouverte à tout public mais d’une réunion confidentielle où étaient débattus les moyens d’ “éradiquer” certains mouvements religieux, selon les termes employés. Le “problème”, comme l’expliqua d’entrée un avocat de l’ADFI, c’est qu’il n’existait aucune loi pour éliminer purement et simplement ces mouvements. Un autre animateur de la conférence se présenta comme étant colonel de gendarmerie. Il s’appelait Jean-Pierre Morin et était instructeur dans une école militaire. Ce colonel collaborait avec l’ADFI depuis ses origines. Il entreprit d’exposer à ses invités ses théories et son plan. Il expliqua que les membres des “sectes” étaient victimes de “sujétion”. Il avait développé cette thèse dans Le viol psychique, un livre qu’il avait écrit en 1978.



Des théories discréditées


Dans ce livre, il se présentait comme spécialiste en “psychologie des conflits”. L’agressivité de l’homme était comparée à celle de l’animal défendant son territoire. La guerre était décrite comme “instinctive”, “donc inéluctable”. Elle pouvait prendre la forme d’un complot fomenté par un ennemi intérieur ayant recours au “viol psychique”. L’une des tactiques de l’ “ennemi”, expliquait M. Morin dans son ouvrage, était de placer des individus préalablement soumis à ce viol psychique à la tête de médias et d’institutions politiques. M. Morin expliquait que les services de police éprouveraient “les plus grandes difficultés à fournir la preuve matérielle de la manipulation par lavage de cerveau”. A la fin du livre, le colonel Morin proposait une série de contremesures radicales. L’une d’entre elles prévoyait “l’interdiction dans la rue et les lieux publics de toutes quêtes au profit d’oeuvres charitables quelles qu’elles soient”. M. Morin ignorait que la communauté scientifique dans son ensemble avait depuis longtemps discrédité les théories de “manipulation mentale” ou “lavage de cerveau”. Les théories en question étaient trop vagues. Leur principal défaut était qu’elles ne reposaient sur aucune preuve. Le colonel poursuivit son exposé dans la conférence de l’ADFI. Les

 mouvements religieux minoritaires devaient être combattus avec les techniques des services secrets. Des fonctionnaires utiliseraient les médias pour diffuser des rapports alarmistes dans le public afin de

 créer un climat de peur. Cela apporterait un “soutien” aux mesures adoptées contre les “sectes”.

 En 1993, soit environ un an après cette conférence, M. Morin fut nommé conseiller technique d’un organe de réflexion rattaché au Ministère de l’Intérieur, l’Institut des Hautes Etudes pour la Sécurité

 Intérieure (IHESI) .



Un rapport confidentiel


M. Morin participa au groupe d’étude de l’IHESI “sur le phénomène des sectes”. Cinq ans plus tard, en 1998, le colonel sera nommé au conseil d’orientation de la MILS, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes. Le directeur du groupe d’étude de l’IHESI était un certain Jean Albouy. Cette personne était l’assistant du député Jacques Guyard, qui devait proposer plus tard la création à l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête parlementaire sur les “sectes”. Lorsque ladite

 commission fut créée, Jacques Guyard en devint le rapporteur. Le groupe d’étude de l’IHESI sur les “sectes” était essentiellement composé de fonctionnaires de la police et des services de renseignement. Aucune place n’était prévue pour des chercheurs universitaires ou des professionnels indépendants spécialistes des mouvements religieux. Le travail de l’IHESI était secret. Le groupe d’étude a produit un nombre d’exemplaires limité de son rapport final et n’a jamais communiqué son contenu au grand public. Le rapport de l’IHESI a été rédigé par le directeur du groupe de réflexion, Jean Albouy. Ce dernier avait consulté diverses sources. En voici quelques-unes :


– le responsable de la section des “sectes” aux RG ;


– des représentants de l’ADFI, l’Association pour la défense des familles et de l’individu ;


– des représentants du CCMM, le Centre contre les manipulations mentales ;


– un psychiatre du nom de Jean-Marie Abgrall. Cette personne allait plus tard être entendue en qualité d’ “expert” par la commission d’enquête parlementaire. Elle allait être aussi nommée au conseil d’orientation de la MILS, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, en 1998. La préface du rapport final fut rédigée par Alain Vivien. Ce dernier avait été l’auteur du premier rapport sur les “sectes” paru en France, en 1983. Alain Vivien allait prendre la présidence de la MILS en 1998. De toutes les personnes qui viennent d’être citées, aucune ne possède, à notre connaissance, de formation universitaire couvrant le domaine des religions



Une propagande pseudo-scientifique


En 1995, M. Abgrall avait fait sensation au cours d’une émission télévisée étrangère nommée “Pearl River Entertainment”. Il déclara : “Si quelqu’un de ma famille était pris dans une secte, je pense que j’agirais comme Rambo : je prendrais un fusil mitrailleur, j’irais dans la secte, je prendrais mon parent, je l’emmènerais avec moi et je tuerais tous ceux qui m’interdiraient de l’attraper”. Comme le colonel Morin avec le “viol psychique”, Jean-Marie Abgrall soutenait que les nouveaux mouvements religieux avaient recours à la “manipulation mentale”. Les théories interchangeables de J.M. Abgrall ou de J.P. Morin, ont été systématiquement invalidées par des psychologues et des sociologues à partir d’études cliniques et d’enquêtes quantitatives. En février 2002, le Dr Dick Anthony, éminent psychologue américain, témoigna devant la justice française. Il déclara : “Les déclarations de témoins soutenant la thèse du lavage de cerveau réalisé par des sectes, comme celles du Dr Abgrall dans le cas présent, ne sont pas retenues par les tribunaux américains, parce qu’elles sont considérées comme une propagande pseudo-scientifique ayant pour objet d’inciter à une discrimination religieuse, et non comme reposant sur un fondement authentiquement scientifique”. Dans un article intitulé Mouvements religieux et actions fondées sur le lavage de cerveau : appréciation des témoignages essentiels, publié en 1990, le Dr Anthony montre que cette théorie ne repose pas sur une recherche systématique concernant les nouvelles religions, mais transpose simplement la théorie pseudo scientifique du lavage de cerveau développée par la CIA sur le terrain d’une attaque idéologique des nouvelles religions. Cette théorie de la CIA avait été conçue à l’origine comme un outil de propagande pour expliquer pourquoi les prisonniers de guerre coréens semblaient se convertir au communisme lorsqu’ils étaient emprisonnés. L’auteur conclut qu’il a été démontré, de façon convaincante, que cette théorie “s’avère fausse, par des recherches scientifiques largement reconnues sur les pratiques d’endoctrinement communiste en Corée du Nord et en Chine”. Roger Ikor, fondateur du CCMM, qui fut lui aussi consulté pour l’étude de l’IHESI, haïssait toutes les religions. En Décembre 1980, il déclarait dans Les cahiers rationalistes : “Si nous nous écoutions, nous mettrions un terme à toutes ces billevesées, celles des sectes mais aussi celles des grandes religions”. La déclaration de Roger Ikor au journal L’Unité le 5 février 1981 fait écho à celle de Jean-Marie Abgrall : “On ira f…la m… dans ces antres de mort que sont les sectes. Flanquer en l’air les restaurants macrobiotiques, les centres Krishna et autres. A ce moment là, les pouvoirs publics y prêteront peut-être plus d’attention”. Alain Vivien reprit le flambeau et succéda à Roger Ikor en 1997, occupant la présidence du CCMM avant que le Premier ministre, Lionel Jospin, ne le nomme à la tête de la MILS l’année suivante.


La caution parlementaire


Ainsi, une poignée d’individus, dans la mouvance du colonel Morin, avait conçu une stratégie. Mais une stratégie, même consignée dans un rapport, n’a pas la valeur d’un imprimatur parlementaire. Il fallait une commission officielle pour conférer aux travaux et aux propositions l’aspect d’un travail parlementaire. En coordination avec l’ADFI, le député Jacques Guyard fit rapidement voter la création d’une commission d’enquête parlementaire. En réalité, aucune information préalable n’avait été donnée aux membres de l’Assemblée nationale. La plupart des députés, partis dans leurs circonscriptions, ne surent rien de cette résolution si ce n’est quel parti l’avait “soutenue”. M. Guyard et l’ADFI s’inspirèrent aussi du rapport Vivien sur les “sectes” de 1983, négligeant le fait que la Fédération protestante de France et l’Eglise catholique l’avaient à l’époque fortement critiqué. Des

sociologues avaient aussi condamné ce rapport, qualifié de “littérature d’amateur” par Jean Séguy dans le magazine protestant Réforme. Très peu de personnes connaissaient la genèse de la commission d’enquête parlementaire. Sa création fut votée le 29 juin 1995 par une poignée de députés.


La commission d’enquête parlementaire


Le président de la commission était Alain Gest, son vice-président Jean-Pierre Brard. Jacques Guyard en était le rapporteur et Rudy Salles occupait le poste de secrétaire. MM. Gest et Brard ne faisaient pas mystère de leurs positions radicales. M. Gest déclara dans La Rue en Septembre 1997 : “Je suis

 favorable à la création d’un corps de magistrats, spécialisés dans ce domaine sur le modèle de ce qui a été fait en matière de terrorisme”, alors que M. Brard affirma dans Télérama le 31 Janvier 1996 : “C’est à la société de harceler les sectes et non l’inverse. Il faut créer un ‘délit de secte’”. En novembre 1998, M. Brard déclencha une violente opposition dans un autre domaine touchant directement aux libertés publiques lorsqu’il proposa un amendement au projet de loi de finances pour

1999. L’amendement autorisait l’administration fiscale à utiliser le numéro de Sécurité sociale (appelé NIR : numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques) grâce auquel chaque Français est identifié de manière unique. L’amendement fut présenté à une heure tardive, ce qui permit d’éviter le débat et d’assurer un vote rapide. Mais la réaction publique fut immédiate. “Stupéfiant, dangereux, scélérat” furent les adjectifs utilisés par la Ligue des droits de l’homme pour qualifier cet amendement. En 1974, la tentation qu’avait eu l’administration d’utiliser ce numéro pour interconnecter des fichiers avait été à l’origine d’une campagne nationale qui avait eu pour résultat la création de la Commission nationale informatique et liberté et le vote de la loi du même nom. Dans Le Parisien du 26 novembre 1998, le président de la Ligue des droits de l’homme, Henri Leclerc, déclara que l’amendement était “une atteinte grave à la liberté. C’est la porte ouverte à

l’interconnexion des fichiers et au viol de la vie privée”. Andréa Narritssens, représentant des syndicats des impôts et plusieurs associations de défense signèrent un texte dénonçant “une mesure

qui ouvre la voie à la constitution d’un gigantesque fichier inter administratif sur la vie privée des citoyens”. Enfin dans Ouest France du 12 décembre, l’avocat Alain Weber, membre de la Ligue des droits de l’homme, estima que “l’interconnexion des fichiers est une conception d’Etat policier” et s’étonna qu’une telle mesure “insupportable pour la démocratie ait été adoptée sans débat”.

 Il était prévisible que des députés comme MM. Brard et Gest approuvent docilement les propositions que l’ADFI, MM. Vivien, Morin et le groupe d’étude de l’IHESI avaient déjà formulées. Ils ne

possédaient aucune expertise dans ce domaine, comme le montre un exemple évident : dans la partie juridique du rapport, ils firent référence à ce qu’ils appelèrent, “l’existence en Italie du crime de

‘piaggio’[sic] ou de ‘lavage de cerveau’”. Malheureusement, il ne s’agissait pas seulement d’une erreur typographique. Le véritable terme est “plagio”, qui définit l’action qui consiste à influencer une personne de façon à la priver de ses facultés à prendre des décisions rationnelles. “Piaggio” est une marque Italienne bien connue de scooter. En 1930, Mussolini exhuma et réinterpréta l’ancien concept romain de “plagio” pour réduire l’influence des communistes en Italie. Pour le chef d’Etat fasciste, toute personne qui partageait l’idéologie communiste était sous l’influence d’ “un pouvoir suggestif ”. Mussolini fit inscrire dans le Code pénal un nouvel article, l’article 603, qui fut ainsi rédigé : “Quiconque soumet une autre personne à son pouvoir de façon à la mettre dans un état complet de suggestion est puni par une peine de cinq à quinze années d’emprisonnement.” Cette loi fut par la suite étendue, comme toutes les lois d’exception, à des catégories plus larges. Elle fut utilisée contre des homosexuels puis contre un prêtre catholique, ce qui provoqua un énorme scandale en Italie. Finalement, en 1981, la Cour constitutionnelle italienne abrogea le délit de plagio qu’elle considérait comme contraire à la Constitution en raison de son caractère imprécis. Elle jugea que ce délit était une menace pour la démocratie. MM. Brard et Gest n’ont pas souhaité entendre les opinions d’experts objectifs et indépendants qui auraient pu les éclairer sur ce point. Se référer à une loi fasciste italienne n’est pas très heureux pour une commission d’enquête parlementaire d’un pays démocratique. Mais ce n’est pas le seul point commun avec le fascisme. Le seul gouvernement a avoir osé publier, avant la France, une liste de “sectes” à combattre fut celui du troisième Reich ! Dès 1933 son ministre de l’intérieur établissait la liste des sectes interdites au nom de “la protection du peuple et de l’Etat”. On retrouve d’ailleurs dans cette liste de 1933 plusieurs mouvements figurant dans celle de la commission d’enquête de 1995



Un rapport “fabriqué” par les RG


Le rapport de la commission n’a pas mentionné le fait que de nombreux fonctionnaires des RG planchaient à plein temps sur le sujet des nouveaux mouvements religieux. Le président de la commission, Alain Gest, écrivit dans une lettre datée du 6 juin 1996 que “la liste à partir de laquelle l’Assemblée Nationale a travaillé provenait de la Direction centrale des Renseignements Généraux” et que cette liste “avait été confiée à la commission d’enquête parlementaire sur les sectes à la suite

d’une demande que celle-ci lui avait formulée” . Dans un livre publié après son départ, l’ancien commissaire des RG, Patrick Rougelet, révéla le rôle des Renseignements Généraux : “Plus récemment, après le carnage de l’ordre du Temple solaire, à l’hiver 1995, le sujet des sectes a tenu en haleine les médias. Les RG, sur la question, n’avaient pas grand-chose. En catastrophe, il a fallu fabriquer un ‘rapport’. Un fonctionnaire s’est chargé de compiler les travaux faits par d’autres, notamment par les gendarmes. Un rapport avait déjà été écrit, notamment par la Cellule interministérielle de recherche et d’exploitation du renseignement de la zone centre-est (CIRER). Il a en grande partie été ‘recopié’. Le rapport des RG sur les sectes a ensuite inondé toutes les rédactions, comme un document de référence. Quelques semaines après, certaines associations, fichées dans l’urgence comme des sectes sanguinaires par les renseignements généraux, ont obtenu réparation devant les tribunaux.” M. Rougelet avait probablement quelques comptes à régler. Toutefois, son livre fournit des indications supplémentaires qui montrent que la plupart des matériaux sur les “sectes” ne provenaient pas de sociologues, d’universitaires ou même de psychologues, mais bien de rapports fournis par les services de renseignement.


 La montée de la discrimination officielle


Le rapport de la commission d’enquête réclamait :



• Un observatoire interministériel sur les sectes rattaché au premier ministre.


• La mise en place d’un programme de “formation” des magistrats et de la police.



• Des programmes scolaires pour “informer” les jeunes , notamment en inscrivant l’étude des “sectes” dans les programmes d’instruction civique.



• La possibilité pour des associations militantes de se porter partie civile.



• L’instruction donnée aux procureurs de “combattre plus efficacement” les dangers du phénomène sectaire.



• Une campagne médiatique importante pour “informer” le grand public.



• La dissolution des organismes mis en cause “lorsque cela s’impose” car les “dissolutions systématiques et rapides pourraient avoir un fort effet dissuasif ” . Le gouvernement a suivi et mis en place ces recommandations, les unes après les autres. Grâce à l’utilisation d’un rapport officiel du Parlement recommandant des mesures résultant d’une stratégie secrète pour éliminer du paysage religieux français certains groupes gênants, une poignée d’individus a réussi à faire voter une loi liberticide. Ce qui était impensable au milieu des années 1980 était devenu réalité. L’étape clé fut la création de la MILS (Mission interministérielle de lutte contre les sectes). Le 23 novembre 1998, le décret établissant le “conseil d’orientation” de la MILS énuméra des figures connues : Jean-Pierre Morin, Jean-Marie Abgrall, Alain Gest, Jean-Pierre Brard et le sénateur Nicolas About, qui sera à l’origine de la loi “About-Picard” . Avec le vote d’une loi portant le nom de ses deux défenseurs les plus acharnés, le sénateur Nicolas About et la députée Catherine Picard, l’Assemblée nationale approuva le 31 mai 2001 les moyens de dissoudre facilement les minorités religieuses jugées gênantes. Cette loi correspondait aux voeux de M. Brard. La loi “About-Picard” s’inspire en effet de la loi de 1936 contre les ligues factieuses, citée en exemple par M. Brard qui omettait de rappeler qu’elle avait été rédigée par Pierre Laval, de sinistre mémoire. Mais rien ne serait arrivé sans le lobbying de la commission d’enquête parlementaire.


Les experts tenus à l’écart


La communauté des universitaires spécialistes des religions avait été soigneusement ignorée. Quelles furent leurs réactions lors de la parution du rapport de la commission d’enquête Un groupe de cinq universitaires, comprenant Massimo Introvigne, directeur du Centre d’études sur les nouvelles religions siégeant à Turin et le Dr. Eileen Barker, professeur de sociologie des religions à la London School of Economics et auteur d’une étude du gouvernement britannique sur les nouveaux mouvements religieux, critiquèrent le rapport de la commission d’enquête, peu après sa publication. Les experts déclarèrent que la “commission française s’appuyait de toute évidence sur des sources d’informations erronées et ignorait complètement la grande quantité de matériaux réunie au cours des

deux décennies précédentes tant sur les nouvelles religions en général que sur chacun des nouveaux mouvements religieux en particulier, notamment ceux qui ont fait l’objet d’une certaine controverse au niveau du public.” Ils récapitulèrent la liste des imprécisions les plus évidentes du rapport dans son traitement de certaines organisations religieuses et conclurent que le rapport était une “présentation ratée et simplifiée d’un phénomène complexe et de celles qui pourraient devenir sans conteste un mandat de persécution non seulement en France, mais aussi dans les autres pays, étant donné le rôle de leadership culturel joué par la France en Europe et dans le reste du monde, ...” Les experts avertirent que “sur la base d’un petit nombre de témoignages et d’accusations non vérifiées portées par des témoins “anonymes”, il [le rapport] appelle à une chasse aux sorcières contre des innocents....” Des mots prophétiques. Les associations internationales de défense des droits de l’homme ont constaté dans de nombreux pays l’augmentation de l’intolérance religieuse. Plusieurs régimes totalitaires, du gouvernement chinois au gouvernement iranien, se réfèrent aux mesures françaises prises à l’encontre des minorités religieuses pour justifier les persécutions qu’ils exercent contre leurs minorités.


La Loi “About-Picard”


La loi “About-Picard” est l’aboutissement du rapport de la commission d’enquête le plus funeste pour les libertés fondamentales. Son article 20 modifie les dispositions du Code pénal sur l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, jusqu’alors fondées sur des critères objectifs. Il introduit la notion très subjective de “sujétion psychologique”, qui reprend à son compte

 l’idée de “manipulation mentale” reformulée à dessein. Le nouvel article est ainsi rédigé : “Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 2 500 000 F d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.” Aux termes de l’article 20, les personnes reconnues coupables sont également passibles “de la privation de leurs droits politiques, civiques et familiaux”, de l’exclusion de la fonction publique et de l’interdiction de séjour. La loi “About Picard” donne aux tribunaux le pouvoir de dissoudre tout groupement considéré comme “sectaire” s’il a été reconnu coupable en tant que personne morale ou si l’un de ses dirigeants a été reconnu coupable, d’au moins deux délits, la loi habilitant le gouvernement à statuer sur la qualité de “dirigeant”. Elle prévoit en outre des peines d’amendes et de prison pour toute tentative de reconstitution d’un groupe dissous sous un autre nom ou une autre société. L’annonce de la loi “About-Picard” fut savamment organisée. Pendant qu’était en marche la machine législative, une formidable campagne médiatique mobilisait tous les supports d’information pour rappeler les horreurs de la tragédie de l’Ordre du Temple solaire. La loi fut promptement votée et le décret d’application fut promulgué quelques jours après. Il s’agit bien de la “loi sur la sujétion” conçue à l’origine par l’ADFI en 1992 et que l’association avait appelé publiquement de ses voeux dans le numéro 36 de sa revue Bulles (4e trimestre 1992). Dans cette publication, l’ADFI déclarait qu’une loi similaire à la loi du “plagio” était nécessaire en France.



Des dispositions dangereuses


L’introduction dans le Code pénal du délit de “manipulation mentale” n’avait pas été facile. Elle avait rencontré une vive opposition de la part de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et des représentants des grandes religions. Revêtu de nouveaux atours, le projet si détestable d’introduction dans le droit français du délit de manipulation mentale finit par se réaliser dans l’article 20 ! C’est si vrai que Janine Tavernier, la présidente de l’ADFI, déclara à la journaliste de France 2 qui l’interrogeait à ce sujet : “C’est vraiment le délit de manipulation mentale et ça, c’est très important”. Le subterfuge n’a pas échappé à certains juristes. François Terré, professeur de droit, membre de l’Institut, président de l’Association de philosophie du droit, a qualifié l’article 20 de “galimatias propre à alimenter des discussions sans fin” et a estimé que la nouvelle définition [était] “exactement pareille” à l’ancienne, et tout aussi “dangereuse” . Quant aux “techniques propres à altérer le jugement” , il déclara : “Mais tout le monde s’en sert de ces techniques, moi comme professeur, vous comme journaliste, la communication publicitaire, la télévision. Et tous les parents qui élèvent leurs enfants !”. En réalité, l’intention de la loi est d’interdire aux croyants appartenant

aux minorités visées de pratiquer leur religion dans leur propre pays. Son co-auteur, Catherine Picard, est allée jusqu’à déclarer dans une interview publiée par le Christian Broadcasting Network le 25 février 2002, que le “prosélytisme n’est pas autorisé par le gouvernement français. Lorsque les groupes religieux parlent d’avoir le droit de faire du prosélytisme – les autorités locales peuvent autoriser de telles activités mais, en réalité, de telles pratiques sont illégales.” la nouvelle définition était “exactement pareille” à l’ancienne, et tout aussi “dangereuse”. Lorsque la première mouture de la loi fut débattue le 16 décembre 1999, devant un Sénat vide reflétant une fois encore le peu d’intérêt suscité par cette question, le sénateur Dinah Derycke déclara que la loi devrait permettre au gouvernement de contourner les droits dont disposent les organisations religieuses. “La dissolution, qui est une décision politique, présente également l’avantage de ne pas utiliser les procédures judiciaires” a-t-elle déclaré, tandis qu’approuvaient depuis la galerie surplombant l’hémicycle les représentants de l’ADFI et du CCMM. Alain Vivien, le président de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes de 1998 à 2002, s’enorgueillira dans sa lettre de démission de la MILS d’avoir contribué à cette loi. Il avait pourtant clamé haut et fort pendant des années qu’une législation spécifique n’était pas nécessaire. La loi “About-Picard” a soulevé de nombreuses critiques. Des personnalités religieuses, notamment celles jouissant d’une grande autorité comme le président de la Fédération protestante de France et le président de la Conférence des évêques de France, ont joint leurs voix aux protestations d’éminents juristes . Dans un article approuvé par le Vatican avant sa publication, et publié dans le bi-hebdomadaire jésuite “La Civilta Cattolica” , le Père Paolo Ferrari da Passano lança une mise en garde contre le fait que l’Etat pourrait désormais utiliser la loi “pour, au bout du compte, censurer les pratiques religieuses traditionnelles, telles que le jeûne ou les horaires de sommeil de certains monastères.” Et d’ajouter, “La défense de l’ordre public ne donne pas le droit à l’Etat d’interférer dans les affaires internes d’un groupe religieux en ce qui concerne ses croyances et ses doctrines” et “La législation sur les sectes pourrait devenir une menace pour la liberté religieuse et pour la profession de foi, de toute foi.” La Fédération internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme, consignant dans son rapport annuel de 2001 la controverse publique sur la loi “About-Picard”, nota qu’elle a “provoqué une levée de boucliers continue tant parmi les organisations nationales qu’internationales en ce qui concerne les risques de création de discrimination religieuse et de violation des principes européens et internationaux en matière de droits de l’homme.”


Une attaque contre toutes les religions


Bien que les médias aient fait état de l’adoption à l’unanimité de la loi “About-Picard”, moins de 3,5% des sénateurs et des députés ont pris part au vote. Peu d’hommes politiques ont véritablement

soutenu la législation et nombreux sont ceux qui s’inquiètent du développement de l’intolérance religieuse. Mais en raison du climat de maccarthysme antireligieux créé en France par une poignée

d’extrémistes, seuls quelques-uns d’entre eux sont suffisamment déterminés pour s’élever contre ce phénomène. Pendant le débat sur le projet de loi “About-Picard” à l’Assemblée nationale, les députés qui furent à l’origine de la commission parlementaire de 1995 trahirent par leurs propos leurs véritables intentions. M. Brard dénonça les églises établies en ces termes : “Dans ce contexte, la récente prise de position de Mgr Billé, président de la Conférence des évêques de France et de M. de Clermont, président de la Fédération protestante de France, sont surprenantes.(...) Peut-être eût-il mieux valu que Mgr Billé s’adressât à M. Vernette [Délégué de l’Episcopat pour la question des

sectes] pour lui recommander plus de prudence et de discernement dans ses prises de position et dans ses relations (…) Et peut-être M. de Clermont eûtil été mieux inspiré en examinant de manière attentive et critique le fonctionnement de certaines organisations se prétendant “évangéliques” pour des activités qui ne le sont guère.” Un député, Philippe Vuilque, annonça que “les prochaines batailles se livreront contre des ennemis plus professionnels, plus discrets, plus difficiles à identifier car se confondant avec les milieux qui leur sont favorables. Je pense à certaines ONG, aux réseaux de psychothérapeutes, à certains groupes de guérison ou de lutte contre le diable, constitués autour d’un leader charismatique qui se réfère à la Bible, au Coran, au Talmud pour assurer son emprise.” La Bible ? Le Talmud ? Le Coran? Les principales religions de France perçurent, à juste titre, que la loi “About-Picard” visait l’essence de toutes les croyances et pratiques religieuses. Après tout, il n’existe pas de définition juridique de la notion de “secte”. Qui va donc la définir ? Le gouvernement ? Outre le fait que la MILS a travaillé en étroite collaboration avec l’ADFI, est également inquiétante la déclaration du président de l’ADFI au quotidien danois Christian Daily quelques jours après le vote de la loi : “Nous avons assisté à un développement sectaire au sein de nombre de sociétés catholiques”. Nous pouvons aussi reprendre le commentaire de Catherine Picard relayé par l’agence Reuters, selon lequel la loi vise les groupes de nature “spirituelle, ethnique et philosophique”. Si c’est le gouvernement qui détermine ce qu’est une “secte”, il n’est pas surprenant de voir se renforcer la surveillance opérée par les RG sur les organisations religieuses. La publication sur Internet Christian Broadcasting Network (CBN), a rapporté en février 2002 que des officiers des RG participaient à des services évangéliques et prenaient des notes sur les cérémonies. Le Pasteur Samuel Peterschmitt, que les RG ont pris pour cible, a déclaré à CBN qu’ “il est désormais vraiment très difficile d’enseigner le gospel en France”. Un certain nombre de personnalités religieuses considèrent que la controverse sur les religions minoritaires en France sert à détourner l’attention de la corruption politique. Ceci n’a pas non plus échappé à nos voisins européens. Par exemple, le journal londonien The Guardian affirmait dans un de ses articles que la campagne antisectes qui faisait rage en France avait pour but de blanchir la classe politique à moindre frais (“La religion est un droit, il faut se battre pour la défendre”, The Guardian, 25/12/98). Au cours des dix dernières années plus de 1500 mises en examen d’élus ont été prononcées. 70% des instructions closes ont donné lieu à une condamnation provisoire ou définitive. Si les critères de la loi “About- Picard” étaient appliqués aux partis politiques, la plupart de ces organisations seraient passibles de dissolution.



La mauvaise utilisation des subventions publiques par la MILS


En Juillet 2002, la publication inattendue de la comptabilité de la MILS a ouvert une boîte de Pandore, révélant d’importants abus d’utilisation de l’argent des contribuables, notamment pour des voyages des dirigeants de la MILS vers des destinations exotiques. En outre, bien que les compétences de la MILS aient été en principe limitées au territoire français, sa comptabilité, communiquée dans le cadre de la loi sur l’accès aux documents administratifs, révèle que 16 fonctionnaires de la MILS ont effectué, entre 1999 et 2001, 88 voyages vers 43 pays différents, en dehors de leurs déplacements en France. La comptabilité de la MILS fait également apparaître 22 visites vers des destinations touristiques dont l’Ile de la Réunion, la Guyane française, la Nouvelle Calédonie et les Antilles. Au total, les fonctionnaires de la MILS furent absents de leur bureau pendant 461 jours en 2000 et 412 en 2001, et le coût total de leurs déplacements pour la période 1999-2001 s’éleva à environ 1 million et demi de francs. Plusieurs voyages, effectués au cours des années concernées, ne figurèrent même pas dans les rapports annuels de la MILS, ce qui montre le peu de cas qui fut fait de l’utilisation des fonds publics. Mais la MILS ne s’est pas contentée de dilapider d’importantes sommes d’argent public pour fabriquer la fausse “menace” des “sectes”. Sans l’influence exercée par des groupes comme l’ADFI et le CCMM, la commission d’enquête parlementaire sur les “sectes” ou la loi “About-Picard” auraient probablement eu du mal à voir le

jour. Ces associations se donnent une fausse image d’organismes privés, mais sont financées, les unes comme les autres, en majorité par des fonds publics. Le bilan financier de l’Union des ADFI pour l’année 2000, obtenu grâce à la loi sur l’accès aux documents administratifs, montre que les cotisations de ses membres ne représentent que 19 884 francs (3031 €) alors que le montant des subventions s’élève à 2 325 000 francs (354 444 €) (voir planche 14, page 41). Les subventions publiques viennent de différentes sources : 750 000 francs (114 336 €) du Ministère des Affaires sociales ; 350 000 francs (53 357 €) du Ministère de l’Education ; 200 000 francs (30 490 €) du Ministère de la Jeunesse et des Sports ; 200 000 francs (30 490 €) du Ministère de la Justice ; 25 000 francs (3 811 €) du Ministère de la Défense nationale ! Si l’on se réfère à son bilan de l’année 2000, le CCMM a reçu 1 640 000 francs de subventions pour seulement 84 179 francs de cotisations de ses membres, soit un taux de subventions publiques de 95% ! En outre, sous la présidence de M. Vivien à la MILS, son épouse, directrice administrative du CCMM, aurait obtenu 4,5 millions de francs (686 000 €) de deniers publics pour acheter le nouveau siège du CCMM.



Un lobby européen


Ajoutons à cela que l’ADFI et le CCMM font partie d’une organisationcadre, connue sous le nom de Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur le Sectarisme (FECRIS), qui bénéficie également de subventions de l’Etat français. Le rapport annuel 2001 de la MILS indique que les représentants de la MILS “rencontrent régulièrement” la FECRIS basée à Paris, une fédération comptant à travers l’Europe 37 organisations affiliées. L’ADFI a joué un rôl dominant dans la création de la FECRIS en réunissant à son siège pour cette création, en février 1994, des groupes européens similaires. Selon une communication non datée faite sur Internet au nom du président de la FECRIS, Alain Vivien a tenu à faire part de ses remerciements pour les subventions accordées par l’Etat français à la FECRIS afin de lui permettre de poursuivre son travail au niveau européen. Dans le passé, certains représentants de premier plan d’organisations membres de la FECRIS ont été impliqués dans l’enlèvement et la “déprogrammation” violente de membres de minorités religieuses pour les contraindre à renoncer à leurs croyances religieuses. Malgré tout, la FECRIS cherche à obtenir un statut consultatif auprès de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe. Les déclarations de la FECRIS font froid dans le dos : dans un message posté sur l’Internet décrivant la conférence de la FECRIS du 9 juin 2001, la FECRIS classe la seule existence d’une “secte” comme une “forme très grave de criminalité”. Le simple fait d’appartenir à une minorité religieuse visée par la FECRIS serait donc un délit pénal. Concernant la loi “About-Picard”, la FECRIS déclare qu’ “il ne s’agit pas d’une loi spécifique aux sectes mais aux comportements sectaires, et tous les comportements sectaires (familles, entreprises…)”. Aucune explication n’est donnée sur ce que pourrait être une “famille sectaire” ou quelles seraient les conséquences pour une famille qui tomberait sous le coup de la loi “About-Picard”, qui prévoit la dissolution des “groupes sectaires”. La FECRIS expose ensuite une stratégie pour la mise en place à travers l’Europe de lois similaires à la loi “About-Picard”, demandant à ce que “chaque Etat accepte de modifier sa propre législation sur le problème de la dérive sectaire”. C’est ainsi que l’on nous dit, avec une arrogance caractérisée, que “Le gouvernement du Royaume-Uni reste peu enclin à entreprendre une action contre les sectes parce qu’il ne comprend pas convenablement le véritable objet de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté de croyance. La police ne comprend pas la notion de secte (…). La “Charity Commission” ne comprend pas la notion de secte et en arrive à reconnaître à des sectes le statut religieux (…)”. Le modus operandi de la FECRIS s’apparente aux pratiques de l’ADFI du CCMM et de la MILS : des allégations scandaleuses, faites d’amalgames, sont proférées sans le moindre effort pour les justifier. Par exemple, la FECRIS déclare sur son site WEB que “à ce jour, d’importantes organisations telles que la Commission Européenne, le Parlement Européen, le Conseil de l’Europe, l’ONU, l’OSCE sont souvent infiltrées par les sectes.” Mais cette affirmation gratuite n’est étayée par aucune preuve.



Une propagande financée par l’État


L’ADFI et le CCMM dépensent les deniers publics dans des campagnes de propagande à travers les médias contre certaines minorités religieuses afin de créer une apparence d’ “inquiétude des populations”. Une telle “inquiétude” n’existe pas ; si c’était le cas, l’ADFI et le CCMM n’auraient pas besoin des injections massives de subventions publiques pour survivre parce qu’elles bénéficieraient d’importants dons provenant de sources privées. Une cause nationale, perçue comme telle par l’opinion, n’a jamais de mal pour récolter d’importantes sommes d’argent. Avec les associations comme l’ADFI et le CCMM, on est loin de cette situation. Leurs propres déclarations

montrent que les revenus provenant des cotisations de leurs membres sont négligeables. Nous constatons que l’ADFI et le CCMM ont paradoxalement financé leur lobbying pour faire voter une loi liberticide grâce à des subventions publiques. Nous assistons ainsi à l’extraordinaire spectacle d’un gouvernement en train de faire lui-même du lobbying contre les minorités religieuses par groupes de pression interposés – une pratique hautement discutable si ce n’est illégale pour une République dont la laïcité est inscrite dans sa Constitution. Toutes ces actions ont eu pour conséquence une vague de persécutions et de harcèlement contre les minorités religieuses et leurs membres.


Conclusion


La commission d’enquête parlementaire et son rapport ont abouti à la création d’une véritable machine discriminatoire qui s’est attaquée aux membres des minorités religieuses en France. Tant

que cette machine ne sera pas démantelée, elle constituera une menace pour la liberté de conscience non seulement en France mais à travers le monde. Le monde ? Rendons-nous compte de ceci : la MILS a eu l’oreille attentive du gouvernement chinois qui est l’un des régimes les plus répressifs au monde en matière de liberté religieuse. Nous avons mentionné l’étonnant déplacement à Pékin, en novembre 2000, de M. Vivien et de son épouse pour assister à un colloque sur les “sectes”. Suite à ce

 colloque, la lettre d’information du CCMM mentionnait l’excellent accueil réservé à la délégation française et reproduisait sans le moindre commentaire critique deux pages de la propagande du gouvernement chinois contre le Falun Gong, alors même qu’Amnesty International dénonçait la répression féroce de la Chine contre ce mouvement. En avril 2001, M. Vivien a participé, en tant que président de la MILS, à une conférence qui s’est tenue à Nizhny Novgorod, en Russie. La déclaration finale de la conférence, adoptée à l’unanimité des participants, dénonçait plus de 70 mouvements, comme l’Eglise de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours, les Témoins de Jéhovah, le mouvement Hare Krishna, le Falun Gong, Soka Gakkai, l’ensemble du mouvement Néo Pentecôtiste, la théosophie et l’anthroposophie. En avril 2002, les services d’information de l’AFP rapportèrent que le ministre iranien des affaires étrangères avait informé son homologue belge que son gouvernement poursuivrait sa persécution des Bahá'ís en raison de leur caractère de “secte” et que les pays européens avaient eux-mêmes voté une législation contre les sectes – référence évidente à la France,

puisque aucun autre pays européen n’avait adopté une telle législation. Force est de constater que, sous de nombreux aspects, l’une des conséquences négatives du mauvais traitement infligé par la France aux minorités religieuses est la dégradation de son image en matière de droits de l’homme. Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France, s’est inquiété à juste titre “que la France puisse être une source d’inspiration pour des pays où les libertés religieuses ne sont

pas toujours respectées”. Dans une lettre ouverte adressée à Alain Vivien le 15 juin 2000, le directeur

exécutif de la Fédération internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme, Aaron Rhodes, dénonçait ainsi la situation française : “Nous craignons que la législation que vous proposez

puisse difficilement être jugée compatible avec la notion de pluralisme religieux dans une société démocratique. Dans le cas où les membres de ce que vous qualifiez de “secte” commettent un crime, le droit pénal français existe pour punir les auteurs. Pour cette raison, notre organisation condamne le projet de loi que la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), que vous présidez,

à contribué à développer (…)” (voir planche 15, page 45). Le 26 juin 2001, la Fédération internationale d’Helsinki réaffirmait sa position : “Bien que l’Etat ait l’obligation de protéger ses citoyens contre des abus commis par des membres de groupes ou d’associations quels qu’ils soient, ceci ne devrait pas être fait en créant des discriminations, ce qui est le cas avec la loi proposée. De tels abus devraient être réprimés en utilisant les dispositions existantes du code pénal ou du droit et non pas en adoptant une loi spécifique qui cible les groupes religieux minoritaires. Une telle loi ouvrira la voie à des risques d’abus de pouvoir par les autorités, qui se traduiront par des violations de la liberté de religion et d’association, allant jusqu’à la dissolution de groupes religieux minoritaires pacifiques.” La situation française a été systématiquement critiquée lors des dernières conférences sur la liberté religieuse organisées sous l’égide de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europen (OSCE). Lors de la conférence annuelle sur les droits de l’homme de l’OSCE tenue à Varsovie en septembre 2002, la délégation française a dû se justifier : “La liste des mouvements sectaires comprise dans un rapport parlementaire français de 1995 a également été évoquée. Cette liste est un document de travail parlementaire. En d’autres termes, elle n’a aucune valeur juridique, ce qui est la position constante du gouvernement français . Certaines autorités locales ont pu toutefois faire référence à cette liste pour prendre des mesures administratives – toutes annulées par les

tribunaux. Le gouvernement français s’emploie à sensibiliser les rouages de l’administration afin que la liste des mouvements sectaires soit reconnue pour ce qu’elle est : un document de travail parlementaire qui ne peut servir de fondement à une mesure. Enfin, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). Nous avons conscience que ladite mission a généré des incompréhensions et véhiculé une image qui ne correspond pas à la réalité française. Le gouvernement a engagé une réflexion de fond sur les objectifs, le rôle, la structure de la Mission interministérielle, dont le Président, depuis le mois de juin, n’a pas été remplacé.”


Épilogue


Le nouveau gouvernement doit revenir aux principes de respect des droits de l'homme et du pluralisme religieux qui sont la pierre angulaire de notre Constitution, en accord avec les traités internationaux sur les droits de l'homme ratifiés par la France. Le fait que la Mission interministérielle de lutte contre les sectes ait été remplacée en novembre 2002 par un organe moin

partisan, avec à sa tête un haut fonctionnaire choisi hors de la mouvance “antisectes” est certainement un signe encourageant. Car la vocation de la France n'est pas de devenir un modèle pour les régimes totalitaires. Notre avenir en tant que nation est de guider le monde vers une plus grande liberté de conscience, non vers une police de la pensée comme l'imaginait Orwell.



Cette brochure retrace l'histoire du rapport de la commission d'enquête parlementaire de Janvier 1996, mais une histoire “politiquement incorrecte” qu'il est douteux de voir relatée dans les médias, tant est pesant le nouveau maccarthysme antireligieux qui sévit en France sous couvert de “lutte contre les sectes”.


Dossier établi par Éthique et Liberté



L' intégralité du document ici 

la-liste-noire.nouvelle-religion.fr 

ou ici :

www.ethique-liberte.org/pdf/liste_noire.pdf



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